David DECOBERT, le pastel à l'honneur
- Pierre RAFFANEL
- il y a 2 jours
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Dernière mise à jour : il y a 1 jour

À la rencontre de David DECOBERT, artiste pastelliste talentueux et facteur, postier à Roissy-en– Brie en banlieue parisienne.
Interview de Pierre Raffanel pour la revue POST’ART # 229 - juin 2025
Pierre Raffanel : « Il était une fois… Un Roi ! s'écrieront aussitôt mes petits lecteurs. Non, les enfants, vous vous trompez. Il était une fois un morceau de bois. » …ainsi commence l'interview. Ces mots sont en préambule de l’histoire de Pinocchio, ce personnage de fiction du livre éponyme du journaliste et écrivain italien Carlo
Collodi. Peux-tu m’expliquer la récurrence de Pinocchio dans tes oeuvres ? Est-ce un choix délibéré ?
David Decobert : Pas vraiment. C’est une marionnette que m’a offerte mon père quand j’étais enfant, dans ma dixième année. Je ne jouais pas spécialement avec et « à la limite, elle me faisait presque peur ! » Puis j’ai commencé à dessiner, je cherchais un sujet et naturellement elle m’a servi de modèle une première fois...ensuite, elle
est devenue une source inépuisable d’inspiration. Au fil du temps et au gré de mes envies, Pinocchio revient régulièrement.
PR : Tes débuts d’artiste, très jeune apparemment ?
DD : J’ai toujours dessiné. Mais tu ne me poses pas la bonne question. La bonne question c’est : « Vous, c’est quand que vous vous êtes arrêté ! ». En fait, tous les enfants
dessinent, certains ne s’arrêtent jamais. Avec plus ou moins d’assiduité, j’ai toujours été attiré par l’artistique et la chose créative.
PR : Et le déclic de ta passion du pastel ?
DD : A la fin des années 90. J’étais facteur et sur ma tournée il y avait un pastelliste de métier, Chris. Il faisait partie de la Société des Pastellistes de France qui avait organisé cette année-là une exposition à la Grande Halle de Roissy-en-Brie. J’ai été impressionné par cette technique, j’ai acheté ma première boîte de pastels et j’ai commencé, seul, mon apprentissage.
PR : Tes premiers tableaux ont-ils été réalisés avec minutie dès le début ?
DD : Oui car je suis minutieux de nature, exigeant et perfectionniste. J’ai toujours fait des oeuvres très précises, je me suis juste amélioré au fur et à mesure de ma pratique. Je me suis également documenté et j’ai pas mal fréquenté les musées.
PR : En parallèle de ton métier de postier ?
DD : Exactement, facteur. Enfin pour quelques mois encore, car je suis en temps partiel aménagé sénior (TPAS en « sigle postal ») et mon activité de distribution va s’arrêter complètement fin août. Je serai en préretraite et je pourrai me consacrer pleinement à mon activité artistique. J’ai eu un bac de comptabilité gestion. J’ai pratiqué deux semaines ! J’ai passé en 1990 le concours de facteur à La Poste et celui de contrôleur
auquel j’ai eu une note éliminatoire. Avec du recul, je m’en réjouis maintenant car je n’aurais pas aimé l’évolution de ce métier. En étant facteur, j’ai pu, jusqu’à récemment, avoir une activité épanouissante. Au fil des années, les tournées sont devenues de plus
en plus longues à cause de la baisse du trafic courrier, et ces derniers mois, l’arrêt du tri le matin et le passage en méridienne ont rendu ce métier plus difficile à mon goût.
PR : As-tu toujours eu ta tournée de facteur sur la commune de Roissy-en-Brie ?
DD : Quasiment. J’ai été nommé à Noisy-le Grand en Seine-Saint-Denis. Au début, j’étais remplaçant sur les tournées à découvert, puis j’ai été titulaire d’une même tournée. Puis après mes 2 ans d’affectation, j’ai demandé une mutation à Roissy-en-Brie.

PR : As-tu « acheté » un quartier et peux-tu m’expliquer comment cela s’est déroulé ?
DD : A l’époque, deux fois par an, il y avait une « vente de quartiers ». Des quartiers se libéraient suite à des départs en retraites, des mutations…et à l’ancienneté, on postulait pour l’acheter. « Acheter » était le terme consacré car il n’y avait pas de réelle monétisation, juste un peu d’excitation provoquée par le souhait d’avoir la tournée désirée.
PR : Ton temps passé à peindre a-t-il évolué avec le temps ?
DD : Oui dès le moment où j’ai commencé à faire des salons dédiés au pastel en plus des expositions locales, encouragé par une amie pastelliste Nathalie Murat.
Mon premier salon fut celui de Giverny en 2015, qui depuis a déménagé à Berric dans le Morbihan. Par la suite, j’ai été sollicité par différents organisateurs.
PR : Tu utilises des pastels secs, peux-tu m’expliquer ta manière de les usiter ?
DD : J’ai une particularité : je taille mes bâtons de pastel en pointe ou du moins de façon à avoir une arête tranchante pour obtenir une netteté dans mon trait. Ensuite je récupère la poudre que j’ai taillée, je la broie, je la passe au tamis, je remets un peu d’eau, je la roule et ainsi je reconstitue des bâtonnets plus fins de pastel.
PR : Tu rajoutes un peu de fixatif ?
DD : Légèrement à la fin de mes réalisations pour stabiliser la poudre.
PR : As-tu des formats de prédilection pour tes tableaux ?
DD : Plus c’est petit, plus je suis à l’aise. Mais depuis quelque temps je fais des formats plus grands : des 70x70cm. J’utilise une loupe pour les réaliser.
PR : Ton inspiration porte sur deux thèmes génériques : des natures mortes que tu nommes « les vies silencieuses » et des tableaux avec Pinocchio comme personnage récurrent ?

DD : Oui je préfère le terme anglo-saxon Still life au terme nature morte.
PR : Peux-tu m’expliquer la récurrence de tes références dans tes oeuvres : le tableau dans le tableau, la coccinelle, des bouts de scotch, des bougies, une goutte d’eau, des volutes de fumée, des déchirures … ?
DD : Oui ce sont des références à des vanités qui sont des allusions au temps qui passe. La bougie, les déchirures sur le papier sont des memento mori (en latin : « souviens-toi
que tu vas mourir »). Ils représentent différents éléments symboliques dont l'association évoque le caractère éphémère de la vie et la fragilité des choses matérielles. Le scotch, le tableau dans le tableau sont des clins d’oeil à la peinture trompe-l’oeil.
PR : Je trouve que tes oeuvres que tu qualifies de « minimalistes poétiques » ont la qualité d’être immédiatement identifiables ?
DD : Ce titre a été trouvé par la journaliste Stéphanie Portal qui a eu la gentillesse de m’autoriser à le réemployer pour mon site internet. Je vais effectivement à l’essentiel : palette de couleurs assez réduite, utilisation d’objets « simples » du quotidien (verres ordinaires, tasses), peu d’éléments exposés et épure de la mise en scène.
PR : Le choix des titres de tes réalisations sont-ils poétiques, emprunts de dérision, d’humour, d’ironie et veux-tu nous transmettre des messages ?
DD : Ma réponse va être décevante. Je peins plutôt au gré de ma perception du moment présent, de mes envies sans rechercher vraiment un sens, un message. Ce sont les visiteurs qui me confient que mes tableaux leur racontent des histoires, se les approprient et me livrent des interprétations que je n’aurais même pas soupçonnées ou peut-être inconsciemment. Bien souvent, le point de départ de mes créations est une envie d’utiliser une couleur, une harmonie ou une association de couleurs.
PR : As-tu une organisation millimétrée de travail ?
DD : Au départ c’est une envie qui va guider une idée, une couleur. Puis une fois le tableau commencé, tout est sous contrôle dans la mise en place. En revanche le
temps passé n’a pas d’importance, je ne compte pas les heures, à contre-courant de notre société qui veut « que tout soit fini avant de commencer », je prends le temps
qu’il faut pour mes réalisations. Ce sont certainement mes Pinocchio qui sont le plus exigeant en temporalité car plus de détails dans le personnage.
PR : Ton tableau « Mon Girault 58 » est-il une référence à la marque ?
DD : Oui et 58 une référence à la couleur bistre que j’utilise fréquemment. C’est un tableau qui leur était destiné et qui est d’ailleurs exposé dans leur boutique galerie à Montignac-Lascaux. Leurs pastels et ceux de la marque Rembrandt conviennent à ma pratique.

PR : Comment es-tu devenu membre de la Société des Pastellistes de France ?
DD : Lors d’une rencontre dans un salon de pastels.
PR : La notion d’amateur dans ta pratique artistique, comment la définirais-tu ?
DD : C’est une question que je ne me pose pas mais j’aurais envie de te répondre : « Je suis un peintre du dimanche qui peint tous les jours ». Peindre et m’exprimer
par la créativité sont des besoins vitaux. Être artiste est plus important que la notion d’amateur ou professionnel. J’ai eu quelquefois la sensation durant ma carrière d’avoir une double vie. Mon travail « alimentaire » m’a permis une liberté dans l’expression
de ma pratique artistique.
PR : Souhaites-tu te poser une question ?
DD : Je ne suis pas trop dans les mots. Mes tableaux en disent déjà beaucoup …

Interview du pastelliste David DECOBERT par Pierre Raffanel pour la revue POST’ART # 229 - juin 2025
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